Youtubeur, en 2016, c’est un métier. Au départ, il faut le dire, c’est tout de même un truc de branleur. Être Youtubeur consiste à publier des vidéos et à les monétiser pour gagner sa vie. C’est assez incroyable, Youtube est un média puissant, tout le monde parle des rémunérations des mecs qui se filment, font des placements de produit, qui attirent de plus en plus de jeunes. Avec des niveaux très disparates. Il faut dire ce qui est : c’est le futur de la télévision du beauf de demain. Sur l’ensemble des comptes bankables du moment, il y a tout de même pléthore de bouses pas très intéressantes. Personnellement, j’ai du mal avec les chaînes de Gaming. Dans l’ensemble, même ceux qui étaient vraiment bien à l’époque sont devenus moins bons, ou alors des vendus, blabla. Et d’autres sont meilleurs maintenant.
Mais au fond, c’est du divertissement et ils ont “raison” de s’adapter pour survivre. Même si c’est parfois au détriment de la qualité du contenu et pour faire plaisir au public de moins de 14 ans. C’est le business, je ne vais pas chier dessus plus que ça. Ainsi est fait le monde des médias.
Ce qui fait marrer, c’est que j’ai été de ces jeunes aimant faire des vidéos et qui les diffusait sur le net. Vers 2003/2004, quand les appareils photos numériques furent abordables, mes potes et moi découvrirons un truc fantastique : le mode vidéo ! C’était vraiment cool de faire des photos mais aussi des vidéos à la con. On en a fait beaucoup à la fac, pour tout et n’importe quoi. Nous étions en train d’immortaliser nos conneries, numériser nos délires pour plus tard, pour se faire marrer dans l’instant aussi. A la fac, j’avais un pote qui avait son appareil perso. Quand on faisait des conneries en amphi : on filmait. Quand il y avait des temps morts : on filmait. Quelques mois plus tard, j’avais décidé d’investir avec mon frère dans notre propre appareil.
Puis on a commencé à faire des choses un peu plus “évoluée” : reprendre des concepts existants, adaptés à notre sauce, notamment les faux débats des Nous C Nous, le Kamoulox de Kad & O, les petites annonces à la Elie Semoun. Nos zonages en ville nous inspiraient. La nuit, on traînait ensemble, avec un sac d’accessoires et un appareil, jusque parfois tard, pour trouver l’inspiration, filmer et séquencer nos créations au gré du vent et du temps. Des idées de concept sont apparues à ce moment-là, ainsi que certains embryons de personnages. C’était il y a presque 10 ans maintenant et c’était une pure époque.
Les premières vidéos plus scénarisées firent leur apparition. Basé sur Resident Evil par exemple. Nocturnes, les rues du port de Dunkerque étaient idéales pour faire des scènes glauques avec des injections d’humour et de référence. Puis, honnêtement, nous n’avions pas mieux à faire le soir ou la nuit sur Dunkerque. Pas d’argent pour sortir, on s’improvisait réalisateur, caméraman ou acteur.
Nous aimions l’absurde, les idées décalées et le n’importe quoi à profusion. Avec Tarma à la caméra, mon frère, Ch’ti, Jackman, nous rentrions dans des personnages souvent loufoques. Au fur et à mesure de nos routes, d’autres compagnons de film arrivaient, d’autres partaient. On trouvait toujours des mecs pour venir faire les cons devant la caméra avec nous, que ça soit impromptu ou non. La base de l’équipe était solide et créative.
Au fil du temps, le nombre d’accessoires augmentaient, on allait sur le marché en acheter pour trois fois rien. Des personnages devenaient récurrents : Roberta la prostituée, Bob & JC les flics stupides et décalés. Des concepts s’installaient : celui des “Caméras” (fortement basé sur la paranoïa des caméras publiques présentes partout et filmant des situations WTF, bien inspiré de Caméra Café). Mais aussi des vidéos parodiques sur les cours à la fac, sur des mecs qui travaillaient à la ville, sur les entretiens d’embauche. Tout ce qui nous touchait de près ou de loin. Avec le recul, on arrivait à grossir à mort les traits de certains éléments réels pour en faire des gros clichés. Cela nous faisait rire. Mais pas que nous.
Encore plus fort : à l’époque, des personnes nous regardaient ailleurs, dans nos délires pseudo-filmiques. Par exemple, Mister Volty fut notre premier fan et avait fait la route Nantes-Dunkerque pour nous voir ! C’était juste dingue, un petit succès d’estime et c’était plaisant de voir que nous étions autre chose que des illuminés. C’était génial de pouvoir échanger avec lui. Rencontrer une personne qui vous a vu sur YouTube, je trouve cela fun et incroyable. Je comprends les réactions des YouTubeurs qui remercient leurs fans. Autre fait marquant, c’est la rencontre avec un groupe de Calais (des mecs drôles et totalement tarés), qui commençait à faire des vidéos avec un objectif similaire au nôtre : réaliser des court-métrages de plus en plus “pro”. On s’est mis en contact et on a commencé à réaliser quelques vidéos en collaboration. Fun fact : avec nos cliques respectives, nous nous sommes retrouvés à tourner chez mon pote Major, qui deviendra plus tard un de mes compagnons de sortie durant mon début de carrière professionnelle (encore maintenant, en vrai). Comme quoi, le monde est petit.
Ce qui délirant, c’est que nous avions déjà tous les éléments que l’on retrouve facilement dans les vidéos actuelles un peu élaborées des YouTubeurs : des références aux films et aux jeux vidéo cultes, des passages en noir et blanc, des ralentis, des coupures décalées et parfois absurdes, de la réflexion sur les angles de caméra et l’enchaînement, de l’évolution sur la rigueur pour éviter les faux raccords et des méthodes de travail cohérentes : écriture de scénario, organisation orchestrée des scènes en fonction des lieux de tournage, un fil directeur concernant le déroulement des scènes mais avec des textes improvisés (sauf pour certain passage, mais personne n’avait le temps, ni l’envie d’apprendre par coeur des répliques).
Par la suite, j’ai réalisé quelques clips, dont certains ont eu une certaine réputation en local. Encore une fois, un succès d’estime plaisant. J’avais même sincèrement pensé à monter une boîte de production. Sans un seul rond à investir dans du matériel professionnel, difficile de se lancer. J’ai fini par trouver un job dans ma branche et j’ai arrêté de m’intéresser à la vidéo, c’était trop chronophage, puis mes priorités avaient changé. Comme pour tous les membres de ma clique, finalement.
J’ai dû mettre en privé une bonne partie de ces vidéos pour préserver l’e-réputation de l’ensemble des membres. Soit parce qu’on me l’avait demandé, soit parce que j’avais jugé que c’était mieux pour tout le monde et que ça ne pouvait plus rien apporter. J’ai jugé la part plaisir/risque trop faible pour que ça reste sur le net.
Je pense que nous avions quelques années d’avance. On aurait pu tenter de monétiser nos vidéos, faire des créations plus professionnelles, s’améliorer sur la rédaction des scripts, sur la photographie des court-métrages, sur les effets spéciaux et sur le montage. Et peut-être même en vivre. Peut-être. Mais tout le monde a décidé de continuer sur une voie plus sage, c’est la logique de la vie.