Les Suffragettes

Je n’ai jamais été capable de définir précisément ce qu’est le féminisme : la seule chose que je sais, c’est que les gens me désignent comme féministe à chaque fois que j’exprime des sentiments qui me différencient d’un paillasson” Rebecca West. Suffragette (1892-1983) (Femme de lettres et féministe anglo-irlandaise célèbre en tant que romancière).

Qu’est-ce que le féminisme ?

Mouvement social qui a pour objet l’émancipation de la femme, l’extension de ses droits en vue d’égaliser son statut avec celui de l’homme.

En Angleterre, au XIXe siècle, les femmes n’ont aucun droit, tout comme les enfants, les criminels et les malades mentaux. La femme qui travaille ne perçoit que le tiers du salaire d’un homme. La femme mariée n’est plus un individu, elle appartient à l’identité de son mari. L’argument principal prononcé contre le droit de vote des femmes est que ces dernières n’en ont pas besoin, leurs maris s’occupent déjà des affaires politiques. Leur rôle est de prendre soins des enfants et de la maison.

Une première pétition est déposée en 1832, puis une autre en 1866.

Il y a deux catégories de militantes : les suffragistes et les suffragettes. Elles ont le même but : le vote pour les femmes pour améliorer leurs conditions de vie.

 

Les suffragistes et les suffragettes – leurs histoires

Les suffragistes, comme Sélina Cooper et Millicent Garrett Fawcett, utilisent des méthodes pacifiques : elles organisent des meetings légaux, rédigent des lettres au gouvernement et affichent leurs revendications. De cette façon, les suffragistes prouvent qu’elles sont responsables et donc capables de voter.

Des actions, pas des mots.

Mais les progrès sont lents et les suffragettes, comme Emmeline Pankhurst et sa fille Christabel, utilisent des méthodes violentes afin de faire avancer les choses.

Selina Cooper (1864-1946) rejoint en 1897 la “Women’s Co-operative Guild” ( la guilde coopérative des femmes) puis, en 1900 la “North of England Society for women’s suffrage” (La Société de suffrage pour les femmes d’Angleterre du Nord). Selina est la première femme à représenter le “Independant Labour Party” (Le Parti Travailliste Indépendant) en 1901. Elle défend la cause de femmes employées.

Sélina Cooper – Suffragiste

Les femmes ont très peu de choix concernant leur vie professionnelle. Elles sont institutrices, infirmières ou ouvrières avec, évidemment, l’accord de leur mari.

Millicent Garrett Fawcett (1847-1929) est  une femme politique et militante féministe britannique faisant partie de la résistance légaliste. En 1870, elle fait partie du “Married Women’s Property Act” qui reconnaît le droit à la propriété pour les femmes mariées, donc une émancipation juridique.

Ce projet de loi fut rédigé par le Dr Pankhurst.

Anecdote : Un jour, Millicent Garrett Fawcett se fait voler son sac et veut porter plainte au commissariat. Millicent apprend alors qu’elle n’en a pas le droit car le sac est la propriété de son mari et non la sienne.

À la fin du XIXe siècle, seules les classes aisées et les propriétaires ont le droit de vote. C’est encore le règne censitaire. Ce qui veut dire que seuls ceux qui payent 10 livres sterling ont le droit de voter. Évidemment, cela ne concerne que les hommes… ayant une bonne situation.

En 1869, les femmes s’acquittant d’un impôt et célibataires obtiennent le droit de participer aux élections municipales (“borough elections”) et en 1882, le “Municipal Corporation Act” (Loi Municipale) leur permet d’élire les représentants au Conseil municipal.

En 1884, une victoire énorme est accordée aux épouses : celui de posséder son propre corps, donc d’être un individu, donc de pouvoir prétendre à d’autres droits. Se forment alors les suffragistes. Elles sont bourgeoises et ouvrières et réclament d’abord un suffrage censitaire afin d’obtenir une égalité.

En 1897, Millicent Garrett Fawcett est à la tête du (NUWSS) National Union of Women’s Suffrage Societies ( Union Nationale des Sociétés de Suffrage des Femmes). De cette façon, toutes les sociétés suffragistes deviennent une seule fédération.

Je n’arrive pas à comprendre comment le fait de mettre le feu aux maisons, aux églises, aux poubelles et détruire des peintures de valeur puisse aider à convaincre les gens que les femmes doivent être affranchies”.

En 1903, Emmeline Pankhurst (1858-1928) fonde le (WSPU) “Women’s Social and Political Union” (union sociale et politique féminine) avec deux de ses trois filles, Christabel (1880-1958) et Sylvia (1882-1960). Elles sont accompagnées d’un groupe de femmes britanniques, rapidement nommées les suffragettes. Leur but est de lutter en faveur des droits politiques des femmes. De manière offensive, ce groupe fait partie de la résistance active à travers des manifestations interdites, des interruptions de réunions publiques, des incendies, des bris de vitrines. Elles vont même jusqu’à s’enchaîner à des grilles du Parlement comme symbole de leur exclusion.

Christabel et Emmeline Pankhurst

En 1906 : Après 11 années d’un règne conservateur, le parti libéral a pris le pouvoir. Ce qui pourrait être une très bonne nouvelle, de nombreux sénateurs se sont déclarés en faveur du droit de vote des femmes. La base du parti était largement du côté des suffragistes mais les dirigeants étaient de farouches opposants. Au moment des élections, le parti libéral devient même anti-femmes.

Herbert Henry Asquith, qui est premier ministre (1908-1916), est un anti-suffragiste notoire.

Herbert Henry Asquith3

Le 7 février 1907 : Millicent (NUWSS) organise la première manifestation pacifique de masse du mouvement qui rassemble 15 000 femmes.

Le 21 juin 1908 : WSPU réunit à Hyde Park (Londres) 50 000 femmes qui défilent.

Tant que les femmes consentiront à être injustement gouvernées, elles le seront. Mais les femmes disent sans détours, nous retirons notre consentement, nous ne serons pas gouvernées tant que le gouvernement sera injuste” Emmeline Pankhurst

Rappelez-vous la dignité de votre féminité. N’appelez pas, ne suppliez-pas, ne rampez pas. Soyez courageuses, soyez unies, rejoignez nous, combattez avec nous” Christabel Pankhurst

Je préfèrerai être une rebelle qu’une esclave Emmeline Pankhurst

Teresa Billington Greig :  (1877-1964) . Ancienne institutrice et suffragette faisant partie de la résistance civile, créa la (WFL) Women’s Freedom League. Elle se démarqua de la WSPU dont elle trouvait la direction trop autocratique. Elle mobilise son mouvement avec une résistance pacifique ; en refusant de payer des impôts et en refusant de participer au recensement de la population car les femmes ne sont pas citoyennes.

“C’est presque un devoir moral pour les femmes que d’enfreindre la loi”.

La ligue de la Liberté des Femmes fondée en 1907 a milité pour l’égalité entre les hommes et les femmes depuis le quartier général de ce site entre 1914 et 1959”.

En 1909 : les actions sont multipliées donc les arrestations aussi. Emmeline Pankhurst fait plusieurs séjours en prison. Les procès servent de meetings aux suffragettes afin qu’elles puissent s’exprimer. Emmeline Pankhurst démontre la condition des femmes pauvres qui sont écrasées par le poids des naissances et explique que si ces femmes avaient le droit de vote, elles pourraient faire évoluer leurs conditions.

Les militantes sont insultées dans la rue, sur leur lieu de travail, et chez elles. On leur jette des pierres quand elles manifestent et les hommes vont jusqu’aux tribunes des meetings pour frapper les oratrices devant les policiers qui attendent de prendre le relais.

Arrestation d’Emmeline Pankhurst

Les femmes jetées en prison sont traitées comme des criminels de droit commun mais elles revendiquent d’être considérées comme prisonnières politiques. Elles vont jusqu’à faire la grève de la faim. Les conditions d’hygiène et de vie à l’époque sont déplorables. Certaines ont des poux, les visites sont très limitées et elles peuvent être brutalisées par le personnel. Heureusement, des soutiens comme Jean Jaurès et Marie Curie écrivent au gouvernement britannique afin de défendre leur droit de protester en faisant la grève de la faim.

Jean Jaurès

Marie Curie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Face à l’ampleur de ce mouvement, le premier ministre Herbert Henry Blachston prend la décision de nourrir de force les suffragettes. Elles sont nourries par la bouche à l’aide d’un tuyau placé dans la gorge, dans lequel est versé un mélange de lait et de farine de blé, et parfois d’un œuf. Ce qui provoque de violentes douleurs dans la gorge et la poitrine. Et lorsque la bouche est trop tuméfiée, le tuyau est introduit dans le nez.

L’opinion publique est horrifiée face à ce traitement inhumain.

Dès 1910, suffragistes et suffragettes exposent, dans leurs journaux, les fondements politiques et idéologiques de leurs actions. Elles commencent à être entendues et recensent 290 000 supporters.

Le 18 novembre 1910, Emmeline Pankhurst réunit 300 femmes devant la Chambre de Parlement mais la police et des passants les attaquent pendant 6 heures. De nombreuses manifestantes se sont plaintes d’agressions sexuelles en plus des coups reçus. C’est le Black Friday. Une centaine de femmes sont arrêtées et deux femmes meurent.

Le 1er mars 1912, les suffragettes organisent une action massive de bris de vitrines à l’aide de pierres, puis, quelques semaines plus tard, elles attaquent des bâtiments officiels et brûlent une église. Dans le mois, Emmeline Pankhurst est arrêtée et sa fille Christabel part pour la France afin d’essayer de diriger le mouvement depuis Paris.

En 1913, le gouvernement décide de mettre en place une nouvelle loi concernant les suffragettes emprisonnées faisant la grève de la faim : une suspension de peine temporaire. Celle-ci est surnommée par les suffragettes : “The cat and mouse act” (la loi du chat et de la souris).

Cela consistait à relâcher les suffragettes malades après avoir été nourrie de force, de façon à ce qu’elles se rétablissent chez elles et “the cat” (l’état) les renvoyaient en prison pour finir leur peine. Cette loi fut perçue comme une atteinte aux droits fondamentaux et impacta très négativement la popularité du premier ministre Herbert Asquith.

Sylvia Pankhurst incite les WSPU à créer un service de sécurité pour protéger les manifestantes contre les forces de l’ordre.

Petite histoire : En 1898, Edward William Barton-Wright (1860-1951), ingénieur au Japon, a étudié le jujitsu et l’a introduit au Royaume-Uni. Il ouvre une école à Soho en 1900 et bénéficie de la présence de deux maîtres japonais : Tani Yukio et Uyenishi Sadakazu. Edith Margaret et William Garrud, couple de professeurs de sport, s’inscrivent. En 1903, l’école ferme, Uyenishi fonde la sienne et le couple reprend l’établissement au départ du maître. Edith enseigne le jujitsu aux femmes et aux enfants. De plus, cette militante féministe ouvre un dojo pour les suffragettes du WSPU et elle écrit des articles dans “Vote for Women”, le journal de la WSPU.

…C’est ainsi que naît le Bodyguard, un groupe d’une quarantaine de femmes entraînées par Edith Garrud (1872-1971), qui installe des caches d’armes sous les tatamis de son dojo afin de protéger les manifestations et les meetings.

Edith Garrud

Tani Yukio et Uneyishi Sadakazu

 

 

 

 

 

 

 

Le 4 juin 1913, Emily Wilding Davison tente d’accrocher une écharpe, en signe de protestation, autour du cheval du roi George V qui participait à un Derby (course hippique de plat). Elle est percutée de plein fouet par le cheval et est mortellement blessée. Emily meurt 4 jours plus tard de ses blessures. Elle fut célèbre par ses actions en faveur du droit de vote des femmes.

Emily Wilding Davison

250 000 personnes furent présentes à ses funérailles.

En 1914 : Le Royaume-Uni entre en guerre. En échange de la libération des suffragettes emprisonnées, Emmeline abandonne toute forme de violence et soutient l’effort de guerre en demandant aux femmes de travailler dans les usines pour aider leur pays.

Leur cruciale contribution à l’effort de guerre a conduit les gouvernements britanniques et américains à adopter des lois permettant enfin aux femmes, du moins pour certaines, de voter après des décennies de luttes.

Le 8 septembre 1914, Christabel, de retour en Angleterre, réapparaît à la “London Opera House” (opéra) afin de rapporter la menace allemande et encourager les hommes à s’engager. Christabel et sa mère deviennent de ferventes patriotes, de nombreux membres de la WSPU décident de quitter l’organisation, dont Sylvia Pankhurst.

En 1916 : Lord Asquith est remplacé par David Lloyd George qui est un vrai supporter du vote des femmes. De plus, les soldats revenant du front, demandent eux aussi le droit de vote, beaucoup d’entre eux sont issus de la classe ouvrière, ce qui les empêchent de voter. Emmeline soutient les soldats au point de reporter sa bataille pour les femmes.

Millicent continue de défendre sa cause en faisant pression sur les ministres en se servant de la contribution à l’effort de guerre des femmes.

Lloyd George

Le 6 février 1918, le “Representation of the people act” accorde le droit de vote aux hommes de 21 ans et aux femmes de 30 ans détentrices d’une qualification ou mariée à un homme inscrit sur les listes électorales. La loi maintient une différence d’âge entre les sexes suite à la pénurie d’hommes afin qu’ils ne soient pas minoritaires.

Le 2 juillet 1928 : l’égalité pour les hommes et les femmes est enfin accordée.

Emmeline n’aura pas la chance de voir son combat s’achever, elle s’éteint le 14 juin 1928, soit une quinzaine de jours avant l’égalité des droits.

Millicent sera présente.

Conclusion

Les Anglaises, pacifiques ou “activistes”, sont restées fidèles à leurs idées. Malgré les injures, les arrestations, les violences physiques et parfois la mort, elles sont allées jusqu’au bout de leurs convictions.

Ces femmes se sont battues pour améliorer leurs conditions de vie, pour être entendues, pour exister tout simplement.

Aujourd’hui, notamment dans les pays occidentaux, les conditions de vie sont totalement différentes comparées à celles des femmes du début du XXe siècle. Mais il y a encore de nombreux états où les droits des femmes sont bafoués, voire inexistants.

Les femmes poursuivent le combat pour l’égalité.


Sources :

  • Documents sur les suffragettes sur Youtube
  • Wikipédia
  • Livre : Le vote des femmes et la première Guerre Mondiale en Angleterre
  • Edith Garrud and the jiu jitsu of the suffragette movement