La dernière fois que je suis passé boire un verre au Poste (plus exactement “Le Poste”, rue des Postes), je me suis senti mal à l’aise. Mais pourquoi ?
Quand je suis arrivé à Lille en 2010, j’avais tout à découvrir : les bars, les rues, les gens et les us divers et variés. Mon premier réflexe fut de reprendre contact avec des potes installés dans la ville, “perdus de vue” suite à la fin des études et ma période de chômage longue de 9 mois, période qui a fait autant de mal à mon foie qu’à ma sociabilisation.
Il y avait notamment Kurt et Narcow (des potes de l’IUT de Calais) et d’autres encore. C’était l’été, j’étais devenu un habitué de la rue des Postes : je traînais au Poste et au Djoloff. Les deux endroits n’avaient rien à voir.
Le Poste est un rade de quartier avec plaques en ferraille Duvel sur les murs, clients fidèles accoudés avec ballon de rouge et carrelage des années 70 au sol. Un univers proche d’un certain prolétariat, que j’affectionne, ayant grandi avec.
Les Duvel étaient à 2,40€ et les autres bières Belge à 3€. De la qualité pour pas cher, avec une bonne ambiance, pas de musique à fond, des discussions audibles et une terrasse un peu déglingot mais qui avait le mérite d’exister. En plus, il y avait toujours une histoire, un truc qui se passait, l’animation impromptue était au rendez-vous et c’était toujours drôle. Le patron, Sassi, nous payait assez souvent une tournée ou nous amenait un paquet de chips. Nous étions des habitués, j’aimais y descendre des Duvel ou des Hommel en refaisant le monde avec mes potos. Et la tournée ne coûtait pas grand chose. C’était mon endroit. Semaine et week-end.
A cet époque, le week-end, j’allais souvent au Djoloff, une rhumerie, où se déroulait des concerts Dubstep, Drum’n’Bass, reggae et parfois rap. Le tout dans une cave bien cool. J’ai passé de nombreuses soirées/nuits dans cet endroit, il y avait toujours une excellente ambiance, des gens open et de la bonne musique. Je venais passer des bons moments, à coup de Ti Punch à base de Bologne, tout en écoutant le gérant, Selecta Kaiser, passer des sons reggae roots ou en squattant les Pitch Up Parties (pour voir mon pote DJ Kurtz y mixer).
Le clip de Paranoyan “Glou glou” a été tourné en partie là-bas, à titre d’information.
Note : à l’époque, je zonais pas mal à l’Artefact, mais j’y reviendrais dans un autre article.
Et le dimanche, je “faisais” le marché de Wazemmes, avec une pinte de Stella et un morceau de poulet rôti comme petit déjeuner. J’attendais avec les potes que le Poste ouvrait à 17h, pour y boire… une Duvel.
Je faisais des aller/retours entre ces deux bars; assez souvent, en prenant de temps en temps un kebab chez Massi.
Le Djoloff est mort désormais, tué par les choix de Martine Aubry en matière de fermeture de cave et de restrictions d’horaires. A cette époque, des bars mythiques ont disparu, regrettable…
Depuis, la gentrification est passée par là. Le Poste a survécu, certes. Mais la dernière fois, je fus surpris de voir que la clientèle n’était plus celle d’antan. Que des jeunes, plutôt typés bobo, avec des moustaches à la Raymond Domenech et des pulls en laine qui gratte (oui, celui que Mamy vous offrait à Noël et que vous ne vouliez jamais mettre), quelques hipsters à barbe et chemise à carreaux. Le bar est blindé, la musique est forte. Bref, le lieu a changé, s’est adapté à la clientèle. Personnellement, je n’ai pas retrouvé la même sensation qu’avant, cela m’a même fait chier. Trop de monde, trop le bordel, trop de temps pour commander. On a bu un verre et on s’est barré vite fait.
Je savais que Wazemmes avait tendance à se gentrifier, suivant dangereusement mais tranquillement le mouvement du Vieux Lille. Tout le monde l’a vu, tout le monde le sait, et cela ne choque pas grand monde.
Mais là, je pensais que ce morceau du début de la rue des Postes allait rester encore authentique. Que dalle, la fermeture de quelques bars légendaires a ouvert la porte pour lancer des concepts plus mainstream et aseptisé (parfois WTF), qui peuvent plaire à nos amis consommateurs suiveurs de tendance. L’exemple le plus facile est celui du Boulangerie Bar. Une ancienne boulangerie devenue un bar. Je n’ai rien contre ce bar (je vous voir venir, les haterz), je trouve que l’ensemble manque de saveur, rien de transcendent avec le recul. Pour moi, c’est un lieu de bobos et de hipsters, je suis passé plusieurs fois devant et c’est assez pour capter la population dominante d’un bar. En plus, j’ai vu quelques blogs hype en faire une bonne pub, ce qui me rassure dans mon idée. Je ne dis pas que le concept n’est pas drôle mais vraiment… Je trouve ça inutile puisque qu’il n’y a rien de neuf à voir. C’est juste de l’aseptisation. C’est à l’image de ce qu’il va se passer rue des Postes à l’avenir.
Ce n’est pas grave. Heureusement, pour retrouver cet aspect de 2010, roots et réel, je me sauve au Bel Ouvrage, qui est l’un des rares endroits à être resté original, sans que rien n’ait changé depuis 2010. Oui, je suis devenu un vieux con. Si l’on considère qu’être authentique est un concept de vieux con.