C’est au visionnage d’un reportage banal sur le Nord, et de cette fameuse accroche “dix ans après Bienvenue chez les Ch’tis, et tout le bien qu’a apporté le film à la région …” que deux grandes questions ont bondi dans ma tête :
- Déjà dix ans ??
- Vraiment du bien ?
Un petit détour sur allociné suffit à se prendre la gifle du temps passé. Pas encore vraiment dix ans, le film étant de 2008, mais pas loin donc. Pour la petite histoire, ce chiffre me percute d’autant plus que c’est peu de temps après la sortie de ce film que j’ai quitté le département, pour prendre la route vers le (presque) Sud Ouest, d’abord quelques mois dans le marais poitevin, puis à la jonction de la Sèvre, de l’Erdre et de la Loire.
Ce dernier point m’amène alors à une analyse et une réponse partielle à la seconde question: le film de Dany Boon a-t-il réellement fait du bien à la région ?
Les chtis, c’est le Nord
Bon, je vais éviter déjà mon long débat sur l’utilisation (à outrance) du terme “Ch’ti”, un jour peut être en ferai-je un article. J’ai quitté mon chez moi quelques mois après la sortie du film et les effets sur la région que j’ai pu constater se résumaient pratiquement à une invasion de produits et boutiques “Ch’tis” dans des rues où flottaient fièrement depuis longtemps des drapeaux flamands. Je ne doute pas que le tourisme a fait sa rentrée d’argent derrière. Mais, mon exil hors de mon Westhoeck natal m’a permis – et me permet toujours – de constater les effets dirons-nous extérieurs à la région. Je parle bien évidemment du regard des gens sur celle-ci.
Alors oui, je n’ai pas vécu l’avant, sinon pendant les vacances estivales, deux semaines par an quand ça arrivait (bah oui, je suis du Nord, j’ai vécu une enfance pauvre voyons). Et pourtant, l’impact du film se fait assez sentir pour dire qu’il a joué son rôle dans le regard que portent les gens sur le Nord.
Alors, forcément, je suis un Ch’ti pour ceux qui apprennent que je viens de Dunkerque. À vrai dire, ça, ça n’a pas vraiment changé, ça m’a amusé un temps, mais étrangement, beaucoup moins après le film. Ah oui, je vois dans votre œil l’incompréhension de mon surnom alors : simple, chti pour petit (et la suite était Dkois pendant longtemps, simplement Petit Dunkerquois si je devais traduire). Après, soyons honnêtes, le double sens m’a plu (encore une fois, jusqu’au film) même si je refuse et réfute le fait d’être un Ch’ti. Bon là, vous commencerez à discerner une certaine rancœur face au film. Un peu, je l’admets, mais pas complètement, je l’ai aussi assez aimé. Outre le fait que je regrette que tous les nordistes soient devenus des Ch’tis avec ce film, il y a également l’autre aspect, plus minime toutefois, qui veut que les Ch’tis soient nordistes. C’est dommage d’avoir la fusion de deux communautés qui se chevauchent peut-être mais qui regroupent chacune des sous-ensembles pas toujours communs. Mais c’est une forme trop commune de vulgarisation pour s’en offusquer.
Si je ne peux dire que le film a créé ces clichés, je peux au moins affirmer qu’il a alors renforcé assez fortement l’image typique qu’ont les gens. Le premier, le plus simple, souvenez-vous, c’était presque l’accroche de la bande-annonce, merci Monsieur Galabru.
Il y a deux choses dans cette accroche. Ce fameux “C’est le Noooord”, auquel j’ai droit régulièrement aux repas de belle-famille (il suffit que la région soit évoquée de près ou de loin pour que le tonton moustache la sorte) et, de temps en temps, dans la vie de tous les jours quand mes origines sont évoquées. Le dédain dans la prononciation ou ma parano avec.
Le désaccord climatique
C’est aussi malheureusement une vision réelle de certaines personnes, et un cliché bien amusant pour d’autres : si je suis en t-shirt souvent, c’est parce que pour moi il fait chaud même en hiver, je viens du Nord, j’ai grandi dans des températures bien basses, limite dans des igloos. Oui, le Nord, c’est le Pôle Nord, fatalement.
Pour rester dans le climat, il y a aussi ce passage du rideau de pluie. Parce que oui, paradoxalement, je suis en t-shirt par habitude des températures basses, mais il pleut tout le temps. Le pire dans ce cliché, c’est que je suis, en fonction des débats (un autre sujet intéressant, sur l’Ouest cette fois) en Bretagne, une autre région particulièrement réputée pour son temps pluvieux. Là, les plus sympas disent que j’ai choisi une région me permettant de ne pas être dépaysé par le temps, et il y a ceux qui ont sans doute besoin de croire qu’il peut y avoir plus de pluie ailleurs. Parfois, c’est limite si nous n’apprenions pas à nous servir d’un parapluie avant d’apprendre à marcher, et faire des remarques sur le temps ne m’est pas accepté.
La simplicité à tous niveaux !
D’un point de vue culinaire, j’aime à nourrir la religion de la frite! J’ai en effet souvent cette mauvaise manie à préférer les frites en accompagnement, ou au moins à les avoir en plus. Et je reste frustré de l’absence de baraque à frites ailleurs que dans le Nord. Par contre, je vis à chaque repas l’étonnement de ne pas me voir commander une bière, ou opter pour du soft lors d’un apéro : n’oublions pas que les nordistes sont des alcooliques (“c’est qu’il faut bien se réchauffer”). C’est une image qui nous suit, et même si ce n’est jamais dit de façon péjorative et dégradante, c’est un point assez sensible pour que je haïsse ce genre de réflexion.
Et tous les clichés du film y passent également : nous sommes toujours des mineurs (WTF!), j’ai eu une vie très difficile sans argent et parfois même sans grande éducation scolaire (bah oui, je suis là par hasard) et il faut que je “parle avec [mon] accent, ça fait rire” (par contre, je croise les doigts, je n’ai encore jamais eu à faire une commande au restaurant en “ch’ti mi” pour amuser la galerie).
Au fond, les gens ont gardé cette vision caricaturale qui leur a été présentée, sans forcément pouvoir s’imaginer que c’était justement exagéré, mis en avant pour leur montrer à quel point l’accumulation des clichés peut être ridicule. L’impact du film n’est clairement pas négligeable, car il en subsiste aujourd’hui encore des traces, que ce soit dans la vision, les expressions ou même les références de situation.
Ceci dit, tout n’est pas négatif: j’apprécie d’entendre que le film ne se trompe pas sur la bonté des gens du Nord (pas forcément moi, mais des rencontres de vacances, ou de proches), sur la bonne humeur et la convivialité qu’on trouve là-bas… Et rien que celà, ça me réchauffe mon coeur polaire !
Il faut aussi savoir que j’ai appris à jouer avec ces clichés, et que je ne suis pas le dernier pour pousser les clichés à fond, et à le faire sur les autres, il me parait normal de pousser le cliché à son paroxysme. Après tout, on s’en fout du regard des autres, tant qu’on est bien, hein ?