Ce vendredi aura lieu le tirage des groupes de la phase finale de la Coupe du Monde de football de la FIFA 2018 en Russie. Actuellement, les 32 équipes sont divisées en quatre pots, déterminés via le classement masculin FIFA des équipes nationales. Son calcul est régulièrement décrié, bien plus que le classement féminin qui lui se base sur le système ELO, principalement utilisé dans le monde des échecs. Quelles sont les différences entre les deux méthodes de calculs, et surtout quelles seraient les conséquences sur le tirage si on changeait de méthode maintenant ?
Une méthode en mouvement contre un modèle immuable
Commençons par un peu d’histoire.
Le classement mondial de la FIFA (maintenant accolé d’une célèbre boisson gazeuse connue de tous) est né en 1992, afin de permettre d’évaluer les performances des équipes nationales de football en fonction des résultats des autres nations. Il a été introduit pour la première fois au mois d’Août 1993. Il prenait à cette époque les résultats des huit dernières années afin de couvrir deux cycles de Coupe du Monde et donc de permettre de mettre en évidence les équipes les plus régulières sur les compétitions importantes. Le premier classement est disponible ici, et il concernait déjà plus de 163 associations nationales de football, affiliées à la FIFA.
Le mode de calcul a plusieurs fois évolué, jusqu’à sa formule actuelle mise en place au sortir de la Coupe du Monde 2006 en Allemagne remportée par l’Italie. Plutôt que de prendre deux cycles de Coupe du Monde (et de compétion(s) continentale(s) au milieu), l’équivalent d’un seul cycle est maintenant utilisé pour le calcul. Le classement est glissant, et les anciens résultats sont de plus en plus dépréciés dans le calcul (on prend en compte 100% des points sur les matches des 12 derniers mois, 50% pour les matches de 13 à 24 mois, 30% pour les matches de 25 à 36 mois, et enfin 20% pour les matches de 37 à 48 mois).
Si vous souhaitez comprendre un peu plus la formule utilisée, elle est disponible à cet endroit, et vous pouvez-même consulter depuis la même page un dossier PDF donnant des exemples sur le nombre de points récoltés dans un match selon son importance et l’importance de l’adversaire.
Le classement ELO est lui existant depuis bien plus longtemps. Il doit son nom au professeur de physique hongrois Arpad Elo, également féru d’échecs. Il a été utilisé pour la première fois par la fédération américaine d’échecs en 1960. Dix ans plus tard, il est adopté par la Fédération Internationale des échecs. Ce n’est qu’en 1997 que Bob Runyan décide d’adapter cette méthode mathématique au monde du football. Le travail effectué est assez impressionnant car il est remonté aux origines du football d’équipes nationales, avec les premiers matches disputés entre l’Ecosse et l’Angleterre en 1872 !
Selon Arpad Elo, après une étude approfondie des résultats de joueurs d’échecs afin de quantifier leur force, il en a déduit un classement en points distribué selon la loi mathématique de répartition de loi normale (pour vulgariser, 5% des joueurs sont excellents, 10% sont bons, 75% sont dans le ventre mou, 10% sont mauvais, et les 5% restants n’auraient jamais dû jouer). Voici une représentation de ce qu’est une loi normale :
A partir de cette représentation, Arpad Elo a déduit une formule mathématique conduisant au fait que le nouveau classement en point d’un joueur dépend de son classement, de celui de son adversaire, et d’un écart entre le résultat théorique (un top 10 doit s’imposer dans 99% des cas contre votre oncle Michel) et le résultat pratique (l’oncle Michel a regardé en boucle les cassettes de grand champions, a fait n’importe quoi et a quand même gagné). Le vainqueur gagne un certain nombre de points, et le perdant concède le même nombre de points.
Si vous souhaitez vous perdre dans les méandres des mathématiques, le site eloratings.net ou la page wiki sont là pour vous (prévenez votre famille de prendre un rendez-vous dans un institut spécialisé avant de partir à l’aventure).
Un but commun, un résultat (légèrement) différent
Malgré les différences notables de méthodes de calcul, le but final de chacun de ces classements est le même : déterminer les très bonnes équipes des moins bonnes, et protéger au maximum les très bonnes équipes d’un tirage piège. Si le classement FIFA, en ne prenant que les 4 dernières années, peut favoriser l’apparition de surprises dans le tirage (une équipe faisant des résultats remarquables, partant de très loin, va vite remonter), cela se lisse un peu plus sur le classement ELO. Une équipe faible, même si elle gagne beaucoup de points pendant la phase de qualification, ne pourra pas remonter aussi haut. Voyons les différences des deux méthodes pour les pots utilisés pour le tirage de ce vendredi :
Avec le classement ELO, l’Espagne et l’Angleterre monteraient pot 1, laissant leurs places à la Belgique et à la Pologne en pot 2. La Serbie et le Japon ferait de même sur le pot 3, interchangeant avec l’Egypte et la Tunisie. Cela confirme globalement une logique commune. Si seul 12,5% des équipes changent de pot, c’est que les méthodes sont assez homogènes, même si on note de bons écarts de classements dans certains cas (25 pour la Corée du Sud, 24 pour la Tunisie, 18 pour l’Egypte).
L’équipe qui s’en sort “le mieux” dans les deux cas est le pays hôte, la Russie. Dernière des trente-deux équipes au Classement FIFA (seulement 65e), sa 45e place au Classement Elo la classerait 28e/32 devant le Panama, l’Egypte, la Tunise et l’Arabie Saoudite. Dans les deux cas, c’est un pot 4 assuré, qui se transforme en pot 1 grâce à la réception de la plus grosse compétition de football.
Car il ne faut pas se leurrer, ce reclassement est un cadeau des instances pour ne pas trop pénaliser la Russie, qui n’a disputé que des amicaux pendant que les autres équipes disputaient des matches à enjeux. La Russie a donc mécaniquement perdu des points et des places. Et si ce n’est pas évident via ELO (43e fin 2016, la Russie est 45e quinze mois plus tard), la nation aux onze fuseaux horaires a dégringolé de la 38e à la 65e place du classement FIFA !! 27 places perdues en seulement 15 mois ! La même chose en moins rude était arrivée à l’équipe de France, hôte de l’Euro 2016, qui était passé de la dixième place au sortir de la Coupe du Monde 2014, à une 22e place 15 mois plus tard.
Et l’on constate bien à ce moment les fluctuations très (trop importantes) du classement FIFA, qui continue à être plus critiqué qu’un classement ELO bien plus rigide. D’ailleurs, pourquoi le classement féminin est lui basé sur la méthode ELO ? Mystère…
En conclusion, même s’il est plus flexible car plus concentré sur les résultats récents que sur un historique, le classement FIFA obtient pour le moment des résultats similaires au classement ELO, à quelques équipes près. Les deux méthodes se valent donc pour la détermination des pots. Mais l’avènement prochain de la Ligue des Nations, en Europe et en Amérique du Nord (dont vous parlera rapidement Trutru), va obliger la FIFA à revoir son mode de calcul. Avec quelles conséquences ?