Grande question, à vous de voir. Je vois déjà les pseudo-puristes et un tas de mecs de tess crier au scandale mais je m’en tamponne le coquillard sévère.
En 2009, un trentenaire désabusé sort un album de sa province : il s’agit d’Orelsan, qui pond “Perdu d’avance”. Un titre qu’il pensait prémonitoire. Mais finalement, ce fut une vision à la Paco Rabanne, Orelsan compte parmi les artistes rap les plus influents et productifs en France depuis quelques années. C’est simple, il détonne avec son ouverture aux genres musicaux variés et sa capacité d’adaptation à l’épreuve du feu, son univers multiple (Casseurs Flowters, Raelsan, etc).
Mais revenons aux débuts du mec…
MySpace, ce capharnaüm
C’est en 2007 que je découvre le type, notamment avec Saint-Valentin. Automatiquement, je trouve cela drôle, avec un clip dégueu, reprenant des codes connus par la plupart à l’époque : porno (BangBus, eXploitedTeen) ou geek (Nintendo, Emoticones), des paroles trash sur les meufs, la tise, bref, un texte de salaud mais gentil et surtout, pas sérieux.
Son MySpace est régulièrement mis à jour, avec des vidéos décalées et des clips. Perso, je m’y retrouve tout de suite, c’est marrant, c’est vrai, c’est typiquement le genre de merde qu’on aurait pu faire avec les potes. Baigné dans le rap, dans les délires, dans le côté “pas grand chose à foutre”. Donc j’adhère.
Son album “Perdu d’avance” est annoncé, Orelsan appuie encore son univers avec “Changement”. Des prémices ciblés mais pas trop, avec des références, une fois de plus, connues de tous : MSN, porno, les meufs, la drogue, l’alcool, la lose, la vie pourrie en province. Et avec un thème simple : voici notre vie de jeune, et honnêtement, il y a un décalage évident vis à vis des “adultes”. Et tout l’album sera orienté dans ce sens.
Les jeunes sont paumés
Vis ma vie de jeune en panique devant la vie, qui ne sait pas trop où aller, ni s’il faut y aller. Le flou artistique, avec de la flemme en masse.
Orelsan le dit bien haut, en est presque fier, il est paumé. L’intégralité de l’album fourmille de références aux soirées nulles et à l’ivresse abusive (“Soirée ratée”), à la désillusion et la lose (“Différent”, “No Life”, “Perdu d’avance”, “Peur de l’échec”), aux relations pétées avec les nanas (“Pour le pire”, “50 pour cent”). Il y a tout de même quelques séances d’égo-trips mais assumées timidement (“Logo dans le ciel”, “Jimmy Punchline”). En réalité, l’intro “Etoiles invisibles” résume très bien le contenu de la galette avant de vomir toute une post-adolescence triste et défaitiste.
Dans tout ce bordel, Orel a toujours sa “gueule dans ses ordis”, histoire de s’évader, d’oublier sa vie. En gros, tout est merdique, je m’évade comme je peux, sur MSN. Un peu nul tout ça. Puis, finalement, “on s’en bat les couilles de ce que disent les gens”. Ils ne nous comprendront jamais.
La lose permanente, un moteur
En effet, outre le côté ado geek, l’élément qui a plu à tout le monde, c’est ce côté désabusé, loseur. Orelsan sait qu’il a tout à perdre tout le temps, et qu’il va tout perdre, c’est une évidence. Il se fout de l’avenir, puisqu’il n’y croit plus. Pas sûr qu’il se pose vraiment la question. C’est marrant, nous aussi.
A l’époque, j’étais également entre deux eaux : j’allais terminer mes études, sans perspective d’avenir, en 2009, nous étions en pleine crise et j’ai vu beaucoup de personnes de mon entourage se la prendre en pleine tronche, par surprise. Je me suis retrouvé en pleine noyade, déçu. Cet album ne pouvait que me parler. Le mec arrive de nulle part et balance un tas de phases auxquelles je peux m’identifier. Orelsan parle exactement de ce que je vis. Il doit y en avoir beaucoup dans son cas, dans notre cas.
Les trentenaires s’y sont trouvés
Avec le recul, je considère maintenant cet album comme une Madeleine de Proust.
J’y retourne avec plaisir, et pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il reste d’actualité, ce qui est plutôt ouf. Ensuite, Orelsan a bien évolué, en prenant des risques, en changeant, en s’adaptant et en transformant son environnement.
Ce qu’il disait à l’époque, c’était un état de fait. Transitoire. Je pense que beaucoup de jeunes aimant le rap à l’époque avaient adhéré par l’univers et la véracité. La plupart a grandi avec lui, sortant de leur lose avec lui. En tout cas, c’est mon cas. Réécoutez “Perdu d’avance”, c’est aussi se dire “C’était comme cela mais finalement, ça a bien bougé, voici par quoi je suis passé”. Et en être fier.
L’album devraient parler aux générations à venir, vous savez, celles qui galèrent à entrer à la fac après le Bac à cause d’une couille du gouvernement. Celles qui se demandent ce qu’elles peuvent faire de leur vie.
Celles qui se sentent perdues. Perdu(es) d’avance.