Je suis resté 9 mois au chômage après la fin de mes études. Ce fut une lente et pénible chute vers l’inutilité, la déprime et la culpabilité.
Nous sommes en août 2009, il fait beau et je me permets de me reposer après une période crevante et aliénante de stage en entreprise. En effet, depuis le début de l’année, je fais des aller/retours entre Dunkerque et Lille. Enfin, pas vraiment Lille même, ça serait trop facile. La plupart du temps, mon trajet consiste à rallier Dunkerque à Haubourdin. Porte à porte, avec correspondances, j’en ai pour deux heures de transport, soit quatre heures par jour, en train, métro et bus. Cela fait approximativement 500 heures sur 6 mois.
J’ai négocié mes horaires pour faire 8h/16h chez le client. Pour que ça soit plus supportable.
La bonne galère qui fait toujours plaisir. Mon stage de fin d’études n’est pas terrible, c’est un job absolument non-gratifiant et nul, sur des sujets que je déteste. J’ai même passé deux mois à avoir la diarrhée suite au stress et au manque de reconnaissance là où j’étais. La société qui m’a pris en stage a décidé de ne pas m’embaucher, contrairement à ce qu’on m’avait vendu lors de l’entretien. Je suis déçu au plus haut niveau. Et totalement énervé.
À la fin du stage, j’en avais tellement assez que je débarquais en baggy/casquette au taffe. Je n’en avais plus rien à foutre, j’ai passé le cap de la contrainte du futur et de l’avenir. S’ils en avaient rien à foutre de moi, autant que ça soit réciproque.
Tout cela, c’était la faute de la crise, m’a-t-on dit. 2009 était une année merdique niveau emploi, j’ai pris l’excuse donnée par cette boîte comme comptant et relativisé : c’était donc l’heure des vacances, un peu forcées. Je prends un mois à la cool, pour profiter de la plage de Malo-les-Bains et de quelques brins de soleil, histoire de me ressourcer.
Arrivé Septembre, je me retrouve donc dans une situation inconfortable : je dois trouver un travail dans ce contexte, en habitant dans une petite ville portuaire du Nord et sans toucher un seul euro de revenu mensuel. J’ai moins de 25 ans, je peux donc me faire voir pour toucher le RSA. Ma joie est sans limite. J’ai un peu d’économie et je vis chez mes parents. Pôle Emploi m’accorde une somme de 200€ sur un an glissant pour couvrir les frais de mes trajets, à justifier, évidemment.
Étant quelqu’un d’ambitieux, je sais ce que je désire faire dans mon métier : m’orienter dans une certaine technologie (PHP). En étant réaliste, je sais qu’il est inutile d’imaginer trouver sur Dunkerque, l’informatique n’étant pas le domaine le plus représenté dans la ville. Sur Lille, je tente ma chance, un nombre impressionnant de fois. Plus de 120 entreprises démarchées sur cette période de chômage, passant souvent l’entretien RH mais me faisant recaler à l’entretien technique. Le marché Lillois était plutôt orienté vers d’autres technologies : Java (J2EE) et .NET, mais certainement pas du PHP. Je crois pourtant à l’évolution de cette technologie sur le marché Lillois, dans le futur.
Les recruteurs me regardaient comme un Alien quand je me positionnais sur ce créneau. Sur Paris, j’avais pourtant mes chances, PHP étant plutôt bien représenté. Cependant, hors de question de sacrifier ma santé dans les transports une fois de plus.
Avec tout ça, je me sépare de mon ex, je rencontre une autre fille, je sors, je bois, je fume, je rattrape mes années de retard en quelques mois, squatte les soirées hip-hop, je nage dans les désillusions, parasite les apparts des potes, traîne dans le centre-ville, comme à l’époque de la Fac mais seul, je vis au jour le jour. Les jours se suivent et se ressemblent. Les multiples recherches poussées ne donnent rien, je profite un peu de la vie. Ce gouffre béant me fatigue et m’attriste de plus en plus.
À ce moment-là, en parallèle, je réalise quelques clips pour des artistes locaux. Quelques potes m’appellent “Chris Macari de Dunkerque” à l’époque, pour rire, ils aiment ce que j’apporte pour la scène rap locale. Ma nana de l’époque est dans l’audiovisuel, elle me donne des conseils. Tout cela m’oriente, j’ai envie de monter une boîte de production. Par contre, sans financement, pas de matos, pas de salaire, rien, ce n’est qu’un rêve. Je suis baisé, tué avec mes illusions au fond d’un caveau.
Sur la fin de ma période de chômeur professionnel, au mois de Mars, je vais de plus en plus me niquer la gueule au bar le soir, dépensant mes économies dans des Maredsous, pour éviter de penser que tout se casse la gueule autour de moi, j’en ai assez de nager sans la merde, malgré les efforts colossaux fournis. Je suis désemparé et je me sens crasseux, un mec incapable de s’intégrer dans la société. Sauf que je ne suis pas du genre à creuser dans ma propre merde pendant 107 ans.
Je décide de revenir sur mes objectifs et de rabaisser ma prétention salariale (et mes ambitions). Cela paie, une boîte m’accorde une chance. Ma copine de l’époque me lâche. Je deviens un salarié, je vole de mes propres ailes, c’est un nouveau départ qui s’enclenche, même si tout n’est pas exactement comme je l’imaginais. Maintenant, je suis bien, je fais ce que j’aime et je suis à un niveau de satisfaction plus qu’acceptable dans mon travail.
Finalement, je garde un bon souvenir de cette période, bercée d’idées et de désillusions. Le plus compliqué est d’éviter la spirale qui t’emmène vers le fond. Toucher le fond signifie qu’il est possible de remonter. Cependant, je comprends mieux les gens dans cette situation. Et il y en a beaucoup dans le pays actuellement…