En moins d’un an, Canal+ a réussi à se transformer totalement. Et pas en bien. Où est l’esprit Canal ? Décryptage d’un phénomène de nivellement par le bas.
Canal+ a toujours connu des hauts et des bas mais certainement pas aussi importants que ceux de ces derniers mois. Je ne vais donc pas faire un historique des émissions cultes et des chamboulements de la chaîne, je n’ai pas le temps d’écrire un recueil d’articles là dessus. Si vous êtes sages, plus tard peut-être.
Résumons rapidement les événements : la fin de saison 2014-2015 est marquée par le changement de direction. Le boss, c’est désormais le patron de Vivendi : Vincent Bolloré.
Le premier changement est passé par les Guignols. D’abord, l’émission fut purement et simplement supprimé. Ce fut un gros tollé médiatique et tout le monde avait son mot à dire pour le maintien du programme : stars, politiques, pétition du public… Bolloré fait une marche-arrière un peu forcée et décide de passer les Guignols en crypté. Cela a bien fait grincer des dents.
Personnellement, avec les années, je trouvais que les Guignols avaient perdu leur niveau et finalement, je ne trouvais pas cela très grave. En fait, après la période Chirac et les pommes, pour moi, les Guignols étaient devenus plutôt médiocres et c’était chiant à regarder… Cependant, entre la suppression et le cryptage, c’était une mort certaine pour l’émission. Ce qui est dommage pour les aficionados de ces marionnettes.
Puis vient le temps des censures. Officiellement, tout le monde peut encore s’exprimer sur Canal. Mais pas trop tout de même. Dès que cela touche à sa coqueluche Hanouna, ou à sa personne, ça ne passe plus. Les précédents patrons ont laissé la liberté de critique sur leur propre personne. Les émissions d’investigation se font censurer (parce qu’elles saquent certains partenaires du groupe), plus personne n’a le droit de chier sur les protégés de Bolloré, sous peine de prendre des taquets après. Tout ça sent le business malsain et les parts d’audimat récupérées au détriment de la qualité. C’est le nerf de la guerre dans le PAF, ok, mais judicieux ? Au point de mettre le présentateur adoré du beauf moyen sur un piédestal ? Pas vraiment.
Les présentateurs-stars de la chaîne font leurs valises un par un, emportant les programmes avec eux. Jusque là, tout le monde crie à la fin de la chaîne mais, en tant qu’optimiste, je me dis qu’il y a encore des anciens, même si la domination de Bolloré/Hanouna (et la tripotée de suce-boules en attente) risque de biaiser la programmation de la chaîne. Parce que faire du TPMP-like sur Canal+, ça n’a aucun sens. Le peu de subversion pertinent restant est sur le chemin du départ, tout le monde attends de voir qui va quitter le navire.
Le coup de grâce (à mes yeux) fut d’arrêter Le Zapping. Pour une personne comme moi, qui n’a pas l’habitude de suivre ce qu’il se passe à la TV, j’aimais ce programme. J’espérais au moins qu’il reste, avec son ton détaché. C’était le résumé impeccable des turpitudes télévisuelles de la veille. Le Zapping a été orchestrée d’une manière parfaite perdant près de 27 ans. Regarder cet émission, c’était s’assurer d’être à jour dans le pire et dans le meilleur de la télévision, sans être collé 7h/jour à son poste. Que l’on rigole, se moque, soit choqué ou outré, les cibles étaient toujours justes et l’objectivité de rigueur (même ces derniers mois, avec l’arrivée de Bolloré). Ok, depuis des années, Internet fait aussi office de sélection “naturelle” pour s’offusquer de la merdique télévisuelle. Mais le Zapping, tout de même, cette légende… Le voir mourir, c’est voir mourir la dernière bastion de l’esprit canal.
Dans ce nettoyage de Printemps pourri, il reste Groland dans tout ça. Qui tient, il faut bien le dire. Mais à quel moment Jules-Édouard Moustic et sa clique de bouseux parodiques excellents se feront virer de la chaîne cryptée ?
Ou plutôt “chaîne sur-cryptée” à partir de septembre, d’ailleurs. Oui, car désormais, Canal ne gardera quelques 2 ou 3 heures de programmes en clair. Bolloré nous explique que l’aspect “en clair” est un reste du lancement de la chaîne, qui n’a plus lieu d’être. Ce qui est totalement stupide. Ces programmes en clair, accessibles, sont devenus cultes pour une raison : tout le monde y avait accès et donc tout le monde pouvait en parler.
L’information et l’investigation ne seront plus : ce sera C News qui prendra le relais (ex-i-Télé, et quel nom nul, on se croit chez les américains). Bref, le fond ne changera pas.
Tout va être chamboulé. Bolloré veut innover mais personnellement, je trouve que c’est un pari risqué. Il va faire mourir la chaîne.
C’est dommage, parce que ces dernières années, certains programmes étaient originaux et agréables à regarder. Par exemple, Bref et le Petit Journal. Et pourquoi cela fonctionnait ? Parce qu’ils étaient accessibles. De toute façon, je pense que tout le monde sera d’accord avec moi, tout le monde est resté avec ces idées en tête :
Clair : émissions cool de Canal.
Crypté : films en exclu et sports.
Cela a bien changé, évidemment. Mais soyons sérieux deux minutes : personne ne va s’abonner pour des émissions de divertissement. Les “programmes exclusifs” de Canal seront disponibles sur les internets à la seconde où le générique sera terminé.
L’analyse est simple : Bolloré veut nous la jouer à la Mediapart version télévisée. Sauf que Mediapart est arrivé avec ce concept d’entrée de jeu, et ne joue pas dans le même domaine. Rien à voir donc. Canal+ a eu une âme, une griffe à elle, pendant plus de 30 ans. S’il est vrai que “l’esprit Canal” s’est érodé gravement avec le temps, Bolloré a donné le coup de grâce et achevé la bête.
Je vais me mater une rediffusion de “L’émission” des Nuls, pour fêter ça.
Pour compléter mon article, vous pouvez aller lire cet article de Libé : http://www.liberation.fr/futurs/2016/06/27/canal-bollore-enterre-le-zapping-et-special-investigation_1462393