Dans ma folle jeunesse de jeune salarié célibataire, mon samedi soir se terminait assez souvent le dimanche matin à 6 ou 7h. J’aimais bien profiter de mon samedi nocturne pour aller boire des verres avec des potes, trouver des meufs et aller danser en boîte de nuit. Dire de la merde, faire des conneries, tout ça. Entouré de musique qui gueule à 130 décibels et de plein de gens, presque pour se sentir vivant. Ou pour se sentir moins seul. Je me suis toujours bien amusé, peut-être parce que j’étais souvent avec des gens qui étaient dans le même délire. D’ailleurs, ce cercle de sortie était très versatile, et régulièrement, il évoluait. Je n’ai jamais eu de problème avec ça. Qui dit vie instable, dit aussi relations changeantes. J’avais compris ça, j’étais peut-être immature pour certaines choses. Mais sur le cercle amical, j’étais très clairvoyant.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, je pense avoir vieilli, ma vie a bien changé et je trouve tout cela d’une autre époque. Quand je suis avec mes pote, je préfère être dans un endroit relax, posé et calme. Gueuler pour me faire entendre, désormais, cela me fait chier, d’une force insoupçonnée et potentiellement insoupçonnable par la majorité. Il faut dire, le fossé générationnel s’est creusé, 5 ans sont passés depuis mes élucubrations. Aujourd’hui, j’ai dû mal à supporter les cris des filles de 20 ans bourrées à deux bières, les frasques des DJ nuls, les enfantillages stupides des jeunes “hommes” irrévérencieux étant persuadés qu’on leur doit tout, les nouvelles musiques actuelles que les plus jeunes kiffent. Tout ça, c’est de la diarrhée pour moi. Je suis une personne que l’on énerve rarement, mais ça, ça m’énerve. Ce n’est plus de mon âge, je suis sûrement devenu un “vieux con” pour les étudiants, c’est presque une évidence. Et c’est normal : j’ai 30 ans ! J’arrive à l’âge où l’on apprécie un apéro du vendredi soir autour d’un Pouilly Fumée et d’un combo Fuete/Chaource, en discutant de plein de choses, drôles ou sérieuses, et en portant de l’attention aux autres. Parce que je considère qu’ils ne sont pas de passage, qu’ils sont importants pour moi.
Cela ne me fait plus plaisir de picoler des pintes de n’importe quelle bière non-dégustée autour de 3 cacahuètes et de gens qui ont la même articulation que Mamy Suze avec 50 ans de moins. Le samedi, sur Lille, c’est le bordel. A la fin de la semaine, ce bordel m’est difficilement tolérable. C’est en adéquation avec ce que je suis devenu. Ce qui est fort et rassurant, c’est que ce constat est partagé avec la majorité de mes amis. Finalement, je me dis que c’est normal et je suis content de ne pas avoir évolué dans le sens inverse. Là, il y aurait eu problème.
D’ailleurs, il est simple de constater que les bars du centre ne sont pas fréquentés par des personnes de plus de 45 ans. C’est normal, c’est dans la logique du temps et des choses. Cela existe, ils passent pour des pervers, ou des types paumés, ou des déchets, ou des illuminés. C’est ridicule de penser cela d’eux, souvent, ce sont justes des gens qui veulent rattraper le temps et tenter de sauver une jeunesse noyée dans la merde du passé.
Ce gouffre générationnel est visible, de plus en plus. Je discute souvent de ce point, l’époque fait que tout va plus vite, tout est plus rapide. En tant que trentenaire, je suis le vieux con du gamin qui vient d’avoir la vingtaine et qui se nique avec son quatrième shoter de vodka, sans gérer sa limite personnelle. Il y a seulement dix ans de différence, ce qui est hallucinant, en fait. Le conflit générationnel, auparavant, c’était entre parents et enfants. Désormais, j’ai du mal à comprendre certains jeunes de 22 ans. Ce ne devrait pas être le cas. Il faut que jeunesse se fasse. J’ai déjà vu trop de jeunes irrespectueux pour avoir envie de leurs donner du crédit ou pour partager une discussion avec eux. Par contre, d’autres sont plus matures et comprendront où je veux en venir dans deux ou trois ans. En attendant, ils me trouveront dur et abrupte. Ils reliront ceci d’ici quelques années, ils trouveront cela justifié.
Les jeunes ne comprennent pas leurs amis qui se calment, jusqu’à ce qu’ils se calment et deviennent, à leur tour, des “vieux cons”. Ce qui finit, fatalement, par arriver un jour.